L'Aube pâle de l'Europe et Amazon-la Boutique Kindle !

"L'Aube pâle de l'Europe" est disponible chez Amazon - Boutique Kindle, depuis le 4 janvier 2018

 

DruckTeam, Hannover, 694 pages. 2017.          ISBN 978 3 925658 30 3

Pour entrer en contact avec l'auteur : laubepale2leurope@gmail.com

Noël Nicolas Coypel : "L'enlèvement d'Europe" (1727)

Goethe et Schiller: statues érigées devant la façade du Théâtre National de Weimar où fut votée la           création de la République du même nom, en 1919.)       Photo Michel Crousillat-Drüke

« La tendresse et les passions, qui doivent être l’âme des tragédies, n’ont aucune part en celle-ci : la grandeur du courage y règne seule, et regarde son malheur d’un oeil si dédaigneux qu’il n’en serait arracher une plainte.

Pierre Corneille, Préface de la tragédie Nicomède (1651)

 

« Europe is the place where Goethe's garden almost borders on Buchenwald, where the house of Corneille abuts on the market-place in which Joan of Arc was hideously done to death. Memorials to murder, individual and collective, are everywhere. »

 George Steiner, « The idea of Europe » An essay . Nexus Institute 2004, p.6

 

« Le monde sera sauvé par quelques-uns"

 André Gide, « Préface » au Voyage en Orient de Hermann Hesse, Calmann-Lévy, Paris, 1948, p. 8 

Les Trois Mousquetaires gris du XXème siècle

Allen Welsch Dulles (1893-1969)  (à gauche sur la   photo) et  John Foster Dulles (1888-1959)                 Photo Bettmann/Corbis - 1948

 En France, le « scandale de Panama » enfanta un monstre fascinant et redoutable : la passion antisémitique politique de M. Edouard Drumont. Lors de l'Affaire Dreyfus, artistes, aristocrates et grands bourgeois de province se laissèrent emporter par celle-ci, avec délice, tels le musicien Vincent d'Indy et ses excellents amis avignonnais. Quelques années plus tard, cette passion mortifère se répandit dans toute l'Europe et fut la cause du malheur de millions de femmes et hommes.

 En 1913, la décision prise par l'Amirauté Britannique d'abandonner le charbon au profit d'une nouvelle source d'énergie pour la Royal Navy, installa, pour longtemps, l'huile noire - le pétrole - au coeur des désirs des puissants de ce monde.

 Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le hasard favorisa la rencontre de trois personnages, hors du commun : le français Jean Monnet et les frères Dulles, John Foster et Allen. Etroitement associés, ils fréquentèrent les personnalités les plus considérables de leur époque, là où les conduisaient un solide appétit d'influence, de pouvoir et de goût du lucre.

 La Seconde Guerre mondiale éclata. Il fallut choisir son camp.

 Charles de Gaulle, Jean Moulin et Bertie Albrecht, courageusement engagés dans un formidable combat inégal contre les forces des Ténèbres, croisèrent le chemin des frères Dulles, de Jean Monnet, et quelques autres. Parmi ceux-ci, Pierre Bénouville, flamboyant et équivoque chef de la Résistance intérieure, recruté par Allen Dulles, qui devint un compagnon sûr et dévoué des trois amis.

 Charles de Gaulle vit son destin bousculé. Ceux de Jean Moulin et Bertie Albrecht furent tragiquement dévastés.

 Dès les années trente, le projet de construction d'une Maison commune européenne apparut comme une solution féconde, susceptible de préserver la Paix et sauver la Démocratie. Après la défaite du nazisme et les débuts de la « guerre froide », ce projet fut initié par des hommes de nationalité et culture différentes que l'on nomme « les Pères fondateurs » : l'Allemand Konrad Adenauer, le Luxembourgeois Joseph Beck, le Néerlandais Johan Willen Beyen, l'Italien Alcide de Gaspéri, les Français Jean Monnet et Robert Schuman, le Belge Paul-Henry Spaak. Mais il manque dans cette liste bien connue le nom de deux hommes qui ne voulurent pas apparaître dans la pleine lumière mais souhaitèrent oeuvrer dans les coulisses sombres de l'Histoire : nos "amis américains", John Foster et Allen Dulles, les tireurs de fils de ce Théâtre de Marionnettes grimaçant et cruel.

 C'est ce que Michel Crousillat-Drüke tente de décrypter dans son :

"Aube pâle de l'Europe"

 

 

Jean Monnet, "Père fondateur de l'Europe". (1888-1979)

Au premier plan, à gauche, Jean Monnet. Penché, au-dessus de lui, John-Foster Dulles. Assis au centre de la photo, le Président Dwight Eisenhower (1890-1969)

Pierre Bénouville dit Pierre Guilain de Bénouville (1914-2001)

Présentation de l'auteur

Michel Crousillat-Drüke est né en 1949, à Avignon (Vaucluse).

Il appartient à une famille provençale.

Titulaire d'un Doctorat Business Administration, il est également licencié et maître ès Lettres Modernes de l'université d'Aix en Provence.

Après avoir enseigné l'Histoire du Théâtre au sein de son Alma Mater, il a été, successivement, assistant parlementaire, conseiller technique du Président d'un Conseil Général, directeur général d'un établissement financier, créateur et administrateur de plusieurs sociétés de conseil, président du conseil d'administration d'une importante clinique chirurgicale, en Ile de France.

Au printemps 2016, il a donné un cours de littérature française à Harvard University - Harvard Division of Continuing Education (HILR) - avec son épouse, Luise Drüke, qui y a dispensé un cours de droit européen et international  (Union Européenne et Nations Unies) durant la dernière décade.

Luise et Michel partagent leur vie entre l'Allemagne et la France.

Père de deux garçons, issus d'un précédent mariage, il est le grand-père comblé de trois délicieuses petites filles.

Ayant mis un terme à ses activités professionnelles, Michel Crousillat-Drüke se consacre, aujourd'hui, à l'écriture et à la photographie.

Luise Drüke-Crousillat et Michel Crousillat-Drüke

Ce populisme souriant qui s'avance... un retour vers un passé grimaçant ?

Les populistes européens (de gauche à droite)       Mateo Salvini, Heinz-Christian Strache,    Marine Le Pen,   Geert Wilders

L'affaire du canal de Panama engendra une formidable crise au sein de la société française, à la fin du XIXième siècle. En dénonçant les turpitudes d'une certaine classe politique, quelques démagogues, regroupés autour d'Edouard Drumont -l'auteur de "la France juive" - créèrent ce lien mortifère entre la corruption de certains élus, la puissance supposée d'une élite bourgeoise juive et ses liens tout aussi supposés avec la franc-maçonnerie. Ce sont ces plats là  que d'aucuns voudraient réchauffer et nous repasser, aujourd'hui !

Scandale de Panama et antisémitisme

Emprunt obligataire à lots : titre provisoire émis en 1888 et devant être échangé en 1890.                                                                           (Collection particulière)

(...) Les travaux à peine commencés, les déboires vinrent. Pluies torrentielles, ruptures des digues, inondations, glissements de terrains, variole, fièvre jaune, malaria, décimèrent les rangs des dizaines de milliers de travailleurs autochtones, chinois, jamaïcains et des centaines de responsables européens recrutés. Le budget initial fut dépassé. Les entreprises engagées sur le chantier renoncèrent, les unes après les autres, ou exigèrent la signature d’avenants léonins à leur contrat.(...)   

(...)  Herz et Reinach perçurent des honoraires considérables en règlement des futurs services rendus. Ils s’activèrent. Ils utilisèrent les mêmes techniques que celles qui avaient été mises en œuvre, quelques années plus tôt, en Amérique.(...)  Ils offrirent des sommes énormes aux parlementaires français pour les convaincre de voter l’autorisation d’émission des bons obligataires à lots. L’argument était pertinent. Ils y parvinrent sans trop de difficulté. (...)

 (...) Un jugement, rendu le 4 février 1889, prononça la liquidation de la Compagnie et entraîna la ruine de plus de quatre vingt cinq mille souscripteurs ! Aussitôt, des rumeurs de corruption coururent les salles de rédaction et les couloirs du Parlement. Les votes de nos parlementaires avaient été achetés ! Émile Loubet, ministre, tenta d’étouffer l’affaire, pendant de nombreux mois. Édouard Drumont, qui avait publié « la France Juive », en 1886, lança un nouveau journal : « La Libre Parole », La France aux Français ! Dans ses colonnes, jour après jour, il dénonçait avec une violence extrême les manigances de Cornélius Herz, du Baron de Reinach et de tous les « saigneurs » juifs de la Finance ! Les parlementaires effrayés par la tournure que prenaient les événements votèrent la création d’une commission d’enquête.(...)  Elle entendit, pendant de très nombreux mois, les différentes personnalités mises en cause. Le 15 novembre 1892, le Garde des Sceaux donna l'ordre au procureur Quesnay de Beaurepaire de poursuivre, en Correctionnelle, les administrateurs de la Compagnie du canal de PanamaInculpé de corruption, le baron de Reinach, appelé à comparaître, fut retrouvé, sans vie, le 19 novembre, dans son hôtel particulier du parc Monceau, au 20 rue Murillo. La presse française s’en émut. Reinach était-il vraiment mort d’une congestion cérébrale ? Suicide ? Empoisonnement ? Le scandale enfla. Émile Loubet, Président du Conseil et ministre de l’Intérieur, démissionna. Un mois plus tard, Charles de Lesseps, fils de Ferdinand, Marius Fontane et Charles-François Sans-Leroy furent arrêtés. Des demandes d'autorisation de poursuites contre cinq sénateurs et cinq députés furent déposées." (...) 

Un dîner de messieurs, chez les Palun, bourgeois avignonnais fortunés.

Caricature d'Alfred Naquet (1834-1916) publié dans le journal antisémite d'Edouard Drumont "La libre parole" - 1893

(...) Ferdinand Brunetière rappela qu’il avait expliqué au journaliste du « Temps », venu l’interroger sur les raisons de son adhésion : « Mes amis et moi n’avons pas pour but d’enflammer une opinion antisémitique dans notre Nation mais plutôt de défendre la Patrie française contre les menaces de ces soi-disant « intellectuels » ; bannière affreuse sous laquelle se rangent de jeunes paltoquets normaliens - que je connais bien pour être leur Maître de Conférences - écrivaillons ratés et feuilletonistes médiocres. (...)

(...)  Il (Ferdinand Brunetière) avait médité la lettre pastorale adressée aux évêques de France par sa Sainteté Léon XIII, le 3 mai 1892, et fait sienne son exhortation : « Acceptez la république ! »  (...) Au bout de quelques secondes, Vincent d’Indy prit la parole : - « Je ne peux qu’exprimer mon profond désaccord avec son geste de ralliement, et je le prie de m’en excuser, au nom de notre ancienne et solide amitié ! J’aurais le sentiment de contrevenir à l’honneur si j’associais mon nom à celui de certains, moi, qui me suis engagé à l’âge de dix-neuf ans, en septembre 1870, pour combattre les Prussiens avec mes camarades du 105e Bataillon de la Garde Nationale. Moi, qui fus le témoin, après la capitulation, des humiliations, exactions et atrocités commises par la vermine parisienne : les « communeux » au drapeau rouge. Les convives approuvèrent bruyamment : - « C’est bien vrai ça… Dieu nous garde d’une pareille catastrophe. Il faut débarrasser à jamais la France de la racaille rouge ! ». (...)

(...) Madame Palun, hôtesse avisée, profita du retour à la table du notaire Tracol et passa la tête dans l’encoignure de la porte : - « Puis-je faire servir les entremets, mes chers amis ? » Cela fit diversion- « Et Zola ? » demande-t-elle, sur un ton faussement badin, alors que chacun contemplait son assiette, l’esprit morose. Brunetière haussa un sourcil : - « Zola ? Et bien, ma chère, voilà un homme qui après avoir été condamné par la justice de son pays a choisi l’exil – et après Fachoda, je devrais dire la désertion - sur les terres anglaises. Il est revenu sur le sol français, il y a quelques semaines. Bon… Bon… Vous savez, très chère Hôtesse, on ne commente pas une décision de justice ! ». Et il sourit galamment. Madame Palun se rengorgea et gloussa : « Oh ! Cher Maître ! » Il poursuivit : « J’ai écrit quelque chose, l’année dernière, qui commençait comme cela : Monsieur Zola, de quoi se mêle-t-il ? La lettre « J’accuse » publiée par le tout nouveau et tout petit journal l’Aurore de Monsieur Ernest Vaughan est un monument d’outrecuidance, d’incongruité et de sottise. L'intervention d'un romancier, même fameux, dans une question de justice militaire me paraît aussi déplacée que le serait, dans la question des origines du romantisme, celle d'un capitaine de Gendarmerie ! ».

On s’esclaffa autour de la table, reprenant la chute à l’unisson et sur tous les tons : « Un capitaine de Gendarmerie ! Un capitaine de Gendarmerie ! Un capitaine de Gendarmerie ! (...)

(...) Tracol, essayant de sourire, interpella Mouzin. - « Mon Cher Président, auriez-vous la bonté de nous régaler de cette petite saynète hilarante ; celle où vous imitez, avec talent, notre confrère Naquet ? ». Souriant niaisement, Mouzin se fit prier. Enfin, il décida de payer de sa personne. Il expliqua à Ferdinand Brunetière que Gustave Naquet, était un ancien Président du Tribunal de Commerce d’Avignon et cousin de Mardochée Vidal-Naquet, le président du Consistoire israélite de Marseille. Gustave était également le parent d’Alfred : le corrompu de l’affaire du canal de Panama, chimiste anarchiste, ami et « familier » de Michel Bakounine. Alfred qui fabriquait de la pommade pour faire briller les cheveux et vendit, aux ennemis de la France, le secret de la poudre sans fumée ! (...) Mouzin reprit sa philippique. « C’est cet aventurier sans scrupule qui dénatura le noble combat du général Boulanger et porta la responsabilité majeure de son échec. Et cette loi sur le divorce qu’il réussit à faire voter à l’Assemblée Nationale, avec la complicité vicieuse des loges maçonniques ! Ce fut la plus formidable attaque que l’on eût jamais menée contre le fondement de toute société : la famille ! Mais il ne s’arrêta pas en si bon chemin et protégea les intérêts des « tripoteurs » en proposant à la Chambre d’adopter l’abrogation de l’article 1965 du Code Civil qui n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou le paiement d'un pari ! » Mouzin, debout, le visage empourpré, contrefaisait sa voix : - « Chers amis, je vais vous lire mon bedi mémoire relative à la solution des difficultés… voï… voï… soulevées bar la résiliation des contracts de louache de services entre embloyés et batrons… » Il s’arrêta et scruta les visages amis. On lui sourit. Il reprit la parole : « Cher Maître, ce petit texte n’était qu’un extrait de la prose soporifique que Naquet nous infligeât, il y a peu, lors de l’une des séances plénières de notre Académie. Vous tous, mes chers amis, vous pouvez en témoigner, j’ai voulu dévoiler, ici, sa nature profonde ; cet accent véritable qu’il dissimule sous l’accent méridional qu’il usurpe, selon la spirituelle formule de notre ami Léon Daudet ! » On rit franchement. On apprécia la causticité du trait ! Brunetière, déclara sur un ton qui se voulait léger : - « Mais mon cher, vous avez tout à fait raison. Votre Naquet est un imposteur. Je l’ai percé à jour… C’est un avatar du baron Nucingen, le loup-cervier ! » Tout le monde sourit poliment. Puis la conversation s’éteignit. Sans aucun espoir de la rallumer. Alors, on se leva, on remercia longuement les Palun de cette aimable soirée et on prit congé.

Dans les ruelles sombres d'Avignon, les hautes façades rejetaient la chaleur diurne accumulée. On se quitta, la tête agitée de pensées confuses. (...)

 

Ferdinand Brunetière (1849-1906), membre de l'Académie française, Directeur de la Revue des deux Mondes.

Titre de liquidation de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama. Pour un peu plus de 1000, 00 francs/or investis en 1890, le créancier obtint10,99 francs/or,                 le 12 février 1909 ! (Collection particulière)

Comment les USA devinrent propriétaires du canal de Panama.

Ted Roosevelt creuse le canal de Panama...

(...) Ted Roosevelt s'adressa à son ami Cromwell - "Quel est l’objet de notre entretien ? » Cromwell se lança: « Mon cabinet s’est occupé, pendant de nombreux mois, du dossier du vieux Comte de Lesseps. A Paris, j’ai pris l’attache du Président Waldeck Rousseau, mon confrère, que j'avais rencontré lors du procès intenté aux administrateurs de la Compagnie du canal de Panama. Il était alors le défenseur de M. Gustave Eiffel. Il nous a écoutés longuement. A la fin de notre entretien, il a mandé un membre de son cabinet auprès de Théophile Delcassé, son Ministre des Affaires Étrangères. Celui-ci est un fin diplomate. C’est lui qui évita un conflit majeur entre la France et l’Angleterre, lors des incidents de Fachoda. Grâce au travail préalable de Jaretzki et à un petit mot de Delcassé, convaincre le liquidateur Gautron fut un jeu d’enfant. » Il sortit de son porte-documents une liasse de feuillets manuscrits et les agita, théâtralement, sous le nez de Roosevelt. - « Voici les recommandations que Gautron va transmettre au Tribunal ! La seule porte de sortie honorable pour le gouvernement français dans ce dossier, objet de tous les scandales, est d’accepter une cession des droits de concession à l’État américain. Nous sommes les seuls à pouvoir réellement garantir le caractère universel de l’exploitation de ce canal ! En échange, Delcassé nous demande un petit service. Oh ! Pas grand-chose : obtenir du Président des États-Unis d’Amérique de bien vouloir aider politiquement la France à résoudre ses difficultés avec l’Allemagne - mais aussi avec l’Angleterre - au sujet de l’avenir de l’Empire Chérifien, l’Empire du Maroc. Le gouvernement français veut sortir d’une situation qui fit écrire à certains observateurs cyniques de la vie diplomatique : « A l'Angleterre va le Maroc stratégique, à l'Allemagne le Maroc économique et à la France… le Maroc pittoresque ! » Pour ce faire, les États-Unis d’Amérique pourraient prendre l’initiative, dans les prochains jours, de l’organisation d’une conférence internationale qui se tiendrait, pourquoi pas, à Tanger ! »

- « Sacrés européens ! J’ai reçu récemment une lettre du Kaiser Wilhelm qui me réclamait la même chose. Bientôt les États Unis d’Amérique seront les arbitres des affaires du Monde ! » Roosevelt rit franchement. (...) 

Un impérialisme balbutiant

Ted Roosevelt réduit au silence les autorités colombiennes...

 

(...) - « Dans cette affaire de Panama, la seule difficulté réside dans la position de la République de Colombie. Je me suis rapproché de l’Amiral Walker, le Président de la Commission du canal. Il connaît très bien les Colombiens. Il est pessimiste quant à l’attitude des représentants qui siègent au sein de leur Congrès. Selon lui, nous ne pourrons jamais les convaincre. La solution ? Nous l’avons. Il suffit d’encourager et soutenir les velléités d’indépendance dans la région du Darién. Celles que nous avons combattues et aidées à mater, il y a quinze ans ! Mais cette fois, nous choisirons un chef dévoué à notre cause et apporterons un soutien résolu aux rebelles. Une fois l’indépendance obtenue, nous négocierons les conditions de rachat de la concession détenue par la Nouvelle Compagnie et conclurons un traité avec le nouvel état du Panama. Bunau-Varilla, le Français qui préside le conseil d’administration de la Nouvelle Compagnie, est un garçon intelligent. Grâce aux discrètes interventions de Jaretzki, il s'est rapproché de nous. Il connaît ses vrais amis ! »

Le Président écoutait Bill Cromwell, avec grande attention. Le Président aimait la sûreté de jugement et le sens politique de son ami Bill. Ancien de Harvard University comme lui, il était un patriote sincère, comme lui ! (...) 

Vincent d'Indy et la ville d'Avignon

Avignon (rue de la République), à la fin du    XIXème siècle.

(...) Le comte d’Indy descendit de voiture, sans se presser. Il traversa la voie, avec précaution. Lorsqu‘il sortit de la gare, il suffoqua. Le comte n’aimait pas la ville d’Avignon : cet immonde petit trou, sentine d’une nef barbare, qui accoucha, après les tentatives de soustraction d’obédience et réunion de conciles simoniaques, d’une kyrielle de papes et antipapes.

La petite ville ronde, courtisane du vent violent, s'appliqua, pendant des siècles, à faire accroire à ses visiteurs qu’elle cultivait, entre ses murs, avec délicatesse, les joies de l’esprit et une douceur de vivre à nulle autre pareille. Mais, enfichée au confluent des eaux du Rhône et de la Durance, ses fils s’épuisaient à lutter, depuis des temps immémoriaux, contre les débordements qui répandaient dans les bas quartiers, mauvaises fièvres et épidémies.

Entourée de sombres remparts sortis tout droit de contes de fées cruels et des rêveries gothiques de Monsieur Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, elle ne redoutait plus les envahisseurs, depuis longtemps. Les habitants de la Cité des Papes découvrirent, au fil des vicissitudes de l’Histoire, l’aigre plaisir que procurait au vaincu l’abandon de soi dans les bras du vainqueur. Aujourd’hui, la ville d'Avignon vacillait sous le soleil et semblait vouloir se protéger d’elle-même. (...)

 

Le salon de musique de Madame Tracol.

Le lied Maritime  de Vincent d'Indy interprété par      Philippe Jaroussky                                                          https://www.youtube.com/watch?v=khGDFHrzU9E

(...) Le comte d’Indy s’installa sur le tabouret, devant le vieux Pape carré. C’était un modèle à six octaves et demi. Le musicien avait les cheveux en bataille et le visage grave. On fit silence dans le grand salon de réception. Madame Tracol s’avança. Elle interprèta, avec retenue, deux exquises mélodies qu’elle avait travaillées récemment : le « Lied maritime » et « La Première Dent ». C'étaient des mélodies simples, fluides et gracieuses où le piano et la voix dialoguaient finement. Tout Avignon fut bouleversé. On fit un triomphe à Madame Tracol et son cher accompagnateur. L’épouse du notaire Lapeyre s’exclama : - « Mon Dieu que ce Li-ède est charmant ! Il me faut la partition ! » Une voix féminine, légère et mielleuse, s'éleva alors dans le fond du salon : - « Madame Tracol, elle, ne chante pas comme un pi-ède ! »

Un ange passa.

(...) À la fin de la soirée, alors que les invités se retiraient, Madame Palun saisit familièrement le bras de son hôte :

« Mon cher Maître, comme vous avez pu le constater, notre bon vieux Pape est très fatigué. Nous hésitons, mon mari et moi, quant à l’acquisition d’un nouvel instrument. Pleyel ou Erard, mon cher Comte ? » D’Indy, surpris, prit le temps de la réflexion. - « J’eus l’occasion, lors d’un séjour à Vienne, il y a de nombreuses années, de visiter les ateliers de la maison Bösendorfer. Ils fabriquent des pianos à huit octaves, puissants, d’une qualité incomparable. Liszt, dans sa jeunesse, ne supportait pas d’en jouer d’autres ! La seule difficulté, c’est qu’ils demandent aux acheteurs, une fois le bon de commande signé, de patienter pendant près de cinq ans. Le temps que l’épicéa utilisé pour la construction de la ceinture et la table d’harmonie veuille bien sécher ! » Madame  Palun éclata de rire. (...)

(...) Un jour d’octobre 1899, d’Indy présenta à ses amis avignonnais, Charles Bordes et sa belle-soeur, Léontine-Marie Pène-Bordes, membres à part entière de la « bande à Franck ». Ce soir-là, à la demande de Vincent, Charles décida d’interpréter des oeuvres de sa composition. À peine avait-il pris place devant le clavier, qu’il fit une brève déclaration liminaire : - « Afin de saluer la généreuse action de nos hôtes, Monsieur et Madame Palun, qui dotent cette noble demeure d’un magnifique piano à queue en palissandre de la maison Erard, à quatre-vingt huit touches - excusez du peu - j’ai choisi, en accord avec mon cher ami d’Indy, de vous interpréter deux de mes oeuvres : « Quatre fantaisies rythmiques » et le « Caprice à cinq temps ». Cinq et quatre font neuf… Et neuf est l’instrument ! » On éclata de rire et tous les convives applaudirent la finesse du trait. Charles se surpassa. L’exécution à couvercle ouvert de ses pièces ravit l’assistance. Le son clair, brillant et moelleux de l’instrument faisait merveille. Puis on pria Léontine-Marie de bien vouloir s’installer au clavier. Vincent admirait profondément le talent de son amie. Son charme et sa distinction naturelle inspirérent l’écriture de la partie pour le piano soliste de sa « Symphonie sur un chant montagnard ». Jacques-Emile Blanche - le fils du médecin aliéniste qui soigna Nerval et Maupassant - portraitiste élégant de MM. Proust, Barrès, Gide et des dandys chics de la gentry anglaise, peignit une toile, au début des années 1890, où Léontine-Marie était représentée, assise et jouant le piano, vue de trois quarts arrière, les traits masculins de son visage accentués comme à plaisir. Un visage qui plaisait tant à Pauline Mary Tarn plus connue sous le nom de plume de Renée Vivien, distinguée émule de la belle Sapho. Vincent demanda à Léontine de bien vouloir interpréter le « Prélude, Aria et Final » de Franck, dont elle était dédicataire. Léontine ferma le couvercle du piano. Gravité, fougue et retenue animaient, tour à tour, le jeu nerveux et délié de la virtuose. Avant l’exécution du final, d’Indy demanda à ses hôtes d’éteindre toutes les lumières du salon. On fut surpris. Léontine joua les mesures du dernier mouvement dans l’obscurité la plus totale. Dix ans plus tôt, Vincent avait accepté l’invitation d’Octave Maus, secrétaire du « Cercle des XX »à Bruxelles. À sa demande, il organisa un concert, le 7 février 1888, dans les salles d’exposition du Musée des Beaux-Arts de la ville. Ce soir-là, il mit au programme son « Trio opus 29 » qu’il interpréta avec Gustave Poncelet et Joseph Jacob. Léontine-Marie Bordes-Penne, elle, joua des pièces de Castillon et Fauré. Le grand moment de la soirée fut l’interprétation de la Sonate n° 5 en la majeur pour violon et piano de Franck, par Ysaÿe, dédicataire, et la délicate pianiste. Un incident involontaire grava une émotion profonde dans le coeur des auditeurs présents. En février, le jour déclinait très rapidement sur les toiles de Georges-Pierre Seurat et Camille Pissarro qui ornaient les cimaises. Les salles du Musée n’étaient pas équipées d’éclairage au gaz, par crainte des incendies. Lors de l’exécution du Final de la sonate, Ysaÿe et Léontine-Marie furent surpris par la nuit. Le violoniste, dans l’instant, décida de continuer à jouer. Dans l'obscurité. L’auditoire fut subjugué et bouleversé.

Ce soir-là, on pleura, aussi, dans les salons de l’hôtel Madon de Chateaublanc

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vincent d'Indy découvre la jeune prodige Blanche Selva.

Vincent d'Indy au piano. Assis derrière lui,   Charles Bordes, musicien, cofondateur de la Schola Cantorum. Blanche Selva est la seule femme présente.

(...)  D’Indy vit s’avancer une enfant gauche, aux traits vulgaires, à taille épaisse qu’accompagnait une femme à la mise commune. Blanche et sa mère s’arrêtèrent devant lui. Il s’inclina devant Madame Selva et serra la main de Blanche. Celle-ci, intimidée, dans sa robe claire à légers volants d’une taille trop petite n’osait le regarder. Vincent, gêné, n’osait l’observer. On monta dans le phaéton des Faugs. Albert, le cocher du château, leur fit traverser la ville de Valence sur Rhône, silencieuse. On arriva enfin à l’entrée d’une allée sombre. On s'arrêta au pied du perron de Château Vert. Anatole Marie Émile Chauffard, professeur de Médecine, beau-frère de feu Zoé Berton et ami de la famille d’Indy, les accueillit en souriant. Les domestiques s’affairaient autour des invités et proposaient des fruits et des rafraîchissements. Après quelques minutes de repos, le maître de maison les conduisit dans le salon de musique aux murs tendus d’étoffe de soie couleur saumon et aux larges fenêtres ouvertes sur le parc. Le professeur Chauffard accompagna sa jeune invitée vers le piano demi queue, à sept octaves, de la maison Pleyel. Blanche s’installa sur le tabouret et le disposa à la bonne hauteur. Quelques instants plus tard, l’esprit et le coeur recueillis, elle leva son avant-bras et resta là, immobile, le corps tendu, comme un chien marque l’arrêt à l’approche du gibier. Elle attaqua la série d’accords brisés qui ouvrent la 4e étude d’exécution transcendante, en ré mineur, de Liszt, dite « Mazeppa ». Les auditeurs présents frissonnaient et n’en croyaient pas leurs oreilles. Les mains voltigeaient sur les touches blanches et noires d’une façon sauvage, oiseaux de proie, et faisaient tourbillonner les nappes d’accords et les chromatismes. La sueur perlait à son front. Un galop infernal l’emporta. De ce corps disgracieux surgit une beauté cachée. D'Indy crut sentir les herbes marines, la rue fétide et le purin. À la fin du morceau, Blanche, le visage défait, n’osait croiser le regard du Maître. Le comte d’Indy d’une voix émue lui dit : « C’est un grand jour, Mademoiselle Selva. Seigneur ! Enfin le terme arrive. Elle court, elle vole, elle tombe, Et se relève Reine ! ». Toute la famille Chauffard assemblée, Madame Selva, Vincent, se dressèrent sur leur siège avec enthousiasme et applaudirent la jeune prodige épuisée. Vincent d’Indy demanda à Blanche de l’assister. Le Professeur Chauffard proposa de l’héberger. Blanche, rougissante, interrogea sa mère. Celle-ci, heureuse et fière, accepta. On bâtit des mains. On servit alors une collation légère et de la citronnade fraîche. Vincent d'Indy prit congé et regagna les Faugs, sa tranquille demeure. (...)

 

 

 

 

 

 

 

La Schola d'Avignon et le manifeste musical antisémite de Vincent d'Indy

(...) Le 24 janvier 1900, la « Schola d’Avignon » ouvrit ses portes. Le siècle nouveau lui appartenait ! Celui de l’Avion et du Théâtrophone de Clément Ader, du Cinématographe de Léon Guillaume Bouly et des Frères Lumière, de l’Exposition Universelle, de la Rue de l’Avenir, du Palais de l’Électricité et de la première ligne du Métropolitain ! Vincent d’Indy lut devant ses amis provençaux rassemblés à cette occasion, une déclaration solennelle fixant les buts esthétique et politique de cette noble institution.

- « L'Art n'est pas un métier. Une école d'Art ne peut pas et ne doit pas être une école professionnelle. Il faudrait bien se garder de croire en effet que, pour être musicien, il suffise de savoir jouer, même très bien, d'un instrument ou de pouvoir écrire très correctement une fugue ou une cantate. Ces études font évidemment partie de l'enseignement musical, mais elles ne constituent point l'art ; j'oserai même dire que, pour celui qui s'arrête à ce degré d'instruction sans chercher l'art véritable, les connaissances acquises deviennent d'autant plus pernicieuses qu'il s'imagine être suffisamment armé pour produire ou interpréter de grandes oeuvres. Là où finit le métier, l'Art commence. Et c'est alors que la tâche des professeurs sera, non plus d'exercer les doigts, le larynx, l'écriture des élèves, de façon à leur rendre familier l'outil qu'ils auront à manier, mais de former leur esprit, leur intelligence et leur coeur, afin que cet outil soit employé à une besogne saine et élevée, et que le métier acquis puisse contribuer à la grandeur et au développement de l'Art musical. (…) La Schola d’Avignon entend protéger l’Art musical des influences néfastes de tous ces Sémites qui encombrent la musique depuis que celle-ci est susceptible de devenir une affaire, tous orientés vers la recherche effrénée du succès, de la domination et du profit financier et faire barrage aux débordements de la dégénérescence de l’Art, cette production périodique de « non-valeurs » incarnée par les Halévy, Félicien David, Meyerbeer, Adolphe Adam et autre Malher ! »

Cette mâle proclamation fut accueillie par des applaudissements nourris et une salve de Bravo ! . (...)

Vincent d'Indy (1851-1931) portrait de Paul Van Rysselberghe (1908)

Citoyens français et juifs !

Placard antidreyfusard d'Edouard Drumont

(...) « Mon cher Gustave ! C’est un grand honneur de te recevoir sous mon toit, aujourd’hui. Un grand honneur et une bénédiction. Nos familles ont noué des liens étroits, il y a  déjà si longtemps ! Je n’oublie pas le rôle que tu as joué, lors de notre venue en Avignon. Mais, j’ai bien réfléchi. Je ne suis pas, comme tu as la bonté de le dire : « Phare » de notre communauté. Je suis, tout au plus… « Amer » ! Je ne peux que confirmer ce que j’ai écrit. C’est un problème de dignité morale. Il m’est devenu intolérable de siéger aux côtés de personnes qui déplient ostensiblement : « La Croix d’Avignon et du Comtat », « le Pèlerin » ou encore « la Libre Parole », « l’Intransigeant », « L’Éclair », ou même l’« Antijuif », lorsque nous nous réunissons. Ces mêmes gens qui dans mon dos m’appellent : le « Polichinelle de synagogue », le « Rabbin Uhlan » ou le « KaiserJudi ». Ne proteste pas, Gustave ! Tu connais tout cela aussi bien que moi. Ces gens-là hurlaient leur haine des Juifs,  il y a quelques semaines à peine, sur le quai de la gare de chemin de fer d’Avignon, lorsque le train qui emmenait à Marseille, Édouard Drumont et son chien Bob, s’est arrêté, exceptionnellement, afin de lui permettre de descendre de son wagon pour saluer la foule et répondre à l’enthousiasme de ses admirateurs. Les mêmes qui applaudissaient l’interdiction faîte aux pauvres petits marchands Juifs de vendre sur les marchés d’Alger et le félicitaient d’avoir fait assassiner, il y a peu, dans son fief électoral de la Ville Blanche, le Juif Schebat ! » (...)

(...)  « La différence entre les protestants et les Juifs, c’est que les protestants, ils ont déjà tenté de les exterminer. Hodie mihi, cras tibi ! Notre tour viendra, mon pauvre Gustave, tu peux leur faire confiance. Hier, le député vendéen de l’arrondissement des Sables d’Olonne, Armand de Baudry d’Asson, monarchiste et catholique intransigeant, demandait à l’Assemblée Nationale de voter son projet de loi abrogeant les décrets de la Révolution Française : « par lesquels les juifs furent naturalisés Français et susceptibles d’occuper des fonctions publiques dans notre pays ». Cela peut prêter à sourire mais peut-être qu’un jour prochain, le sourire joyeux cédera la place aux larmes amères. Qui le sait ! Toi l’unique, Hachem ! » D’une voix lasse, Gustave Naquet répliqua : - « La Palestine, c’est bien trop loin pour nous, Jules ! La terre de nos aïeux, elle est inscrite entre le Rhône et la Durance. Nos morts sont enterrés depuis de nombreux siècles, ici, à Avignon, dans l’ancien cimetière de la Pignotte, mais aussi à Carpentras, Isle sur Sorgue et Cavaillon. Nous sommes citoyens Français et Juifs. Nous souhaitons le rester. Nous continuerons à l’affirmer, haut et fort, et tant pis pour ton rêve de Palestine ! » Jules Bauer reprit la parole d’une voix plus douce : -« Gustave ! Il n’est pas convenable que le rabbin Jules Bauer continue à siéger sur les bancs de cette société. C’est tout ! Je ne te demande pas de suivre mon exemple, de démissionner à ton tour. Toi, tu peux rester. Après tout, le Pasteur Autran a peut-être raison. En agissant ainsi vous agacerez leur mauvaise conscience ! » (...) 

(...) Gustave Haïm Naquet fut, jusqu’à sa mort, un académicien assidu, attentif et dévoué à la cause vauclusienne. Le Rabbin Jules Bauer démissionna, sans coup d’éclat. Son nom disparut de la liste des membres de l’Académie de Vaucluse. Effacé de la mémoire.

Le 12 juillet 1906, la Cour de Cassation, toutes chambres réunies, annula, sans renvoi, le jugement rendu à Rennes, le 9 septembre 1899, qui reconnaissait l’accusé coupable de trahison avec « circonstances atténuantes » et prononça « l'arrêt de réhabilitation du Capitaine Dreyfus », suivant en cela les conclusions du rapport présenté par le Conseiller Gaston-Marie baron Laurent-Atthalin, l'ami de feu Ernest Chausson. (...)

 

Mathieu Dreyfus, frère du Capitaine, et Alfred Dreyfus (à droite). Après sa réhabilitation, le Capitaine alla se reposer, chez son frère, à Carpentras. Ironie de l'Histoire: Madame Marion Maréchal Le Pen a été élue députée de la circonscription de Carpentras, le 17 juin 2012 !

Dédicace d'Emile Zola (1840-1902) à Mathieu Dreyfus

La panique financière de 1907, à New York City.

I want my money back !

 SYMPHONIE ITALIENNE

(...) En 1907, les cours de la Bourse new-yorkaise chutèrent, entraînant dans la dégringolade les valeurs des compagnies de chemins de fer les plus prestigieuses. (...)  La panique s’empara de Wall Street. La perte de confiance provoqua des retraits massifs dans les banques new-yorkaises. On se battait sur les trottoirs, pour récupérer son argent ! En quelques heures plus aucune banque ne put répondre aux nouvelles demandes des clients. Le chaos s’installa. J.P Morgan, éloigné de New York, fut prévenu par des proches. Il y avait le feu dans la maison ! Morgan était un homme expérimenté, au caractère ferme. Grâce à son sang-froid et son audace n’avait-il pas sauvé le Trésor américain, en 1893 ? À la fin du mois d’octobre 1907, la ville de New York City était au bord de la cessation de paiement. John Pierpont tenta de persuader les plus grandes fortunes américaines de suivre son exemple et d’injecter des liquidités dans le sytstème bancaire. (...)

(...) Morgan fit quelques pas vers une porte de communication et appuya sur un petit bouton dissimulé dans le chambranle. Le majordome noir pénètra dans la salle : - « Monsieur souhaite quelque chose ? ». Morgan lui répondit : - « Oui, Douglas. Envoyez donc quelqu’un chercher Mr Cortelyou. Qu’on lui dise que j’ai besoin de traiter avec lui une affaire de la plus grande importance, tout de suite. » Douglas se retira. Cromwell reprit la parole. - « Ted Roosevelt éprouve un profond respect pour son Attorney Général, Charles Joseph Bonaparte Patterson, ancien de Harvard au nom prestigieux et membre, comme lui, de la fraternité universitaire Alpha Delta Phi. Il a exercé les responsabilités de Secrétaire d’Etat à la Marine, comme lui. C’est un homme qui a un sens élevé du devoir, comme lui. Et puis, Ted est fier d’avoir, dans son équipe, le petit-fils du plus jeune frère de l’Empereur des Français, Napoléon 1er. Il nous faudra le convaincre de la justesse de notre démarche. Sans son accord, Ted ne prendra aucune décision favorable ! » Moins de trente minutes plus tard, on introduisait George Cortelyou, essoufflé, dans la vaste salle du Palazzo. J.P Morgan ne lui laissa pas le temps de reprendre son souffle. - « George, j’ai besoin d’une réponse sans équivoque à la question que je vais vous poser. Ted Roosevelt acceptera-t-il de faire bénéficier US Steel Corp d’une dérogation à la loi Sherman, si je décide de racheter toutes les actions de la Tennessee Coal, Iron and Railroad Company ? » Cortelyou se dandinait. - « Heu ! Hé bien, mon cher John. Je ne sais pas. Vous connaissez Ted mieux que moi. Il est très opposé à tous les monopoles et entend faire respecter rigoureusement la loi. Mais enfin, dans la situation actuelle… on pourrait peut-être…» Il se tourna alors vers William Cromwell, appelant celui-ci à la rescousse. - « Bill, vous avez l’oreille de Ted depuis l’affaire de Panama. Je crois que vous devriez demander à le rencontrer. » Morgan lui coupa la parole. « George, nous n‘avons pas de temps à perdre. Faites câbler au Président que je souhaite être reçu dans les heures qui suivent. Le temps de rejoindre, en train, la Maison Blanche. » Cortelyou essaya de protester mollement : « John, le Président est rentré précipitamment de voyage à la suite de la grave crise que nous traversons. Il a un emploi du temps très chargé. Il ne pourra pas vous recevoir avant plusieurs jours. » Le visage de J.P Morgan s’empourpra. Il se mit à trembler. - « En voyage ? Laissez-moi rire ! Moi, cela fait plus de trois nuits que je n’ai pas dormi. Je me bats, jour après jour, pour éviter à ce foutu pays de sombrer dans l’anarchie pendant que le Président des États Unis d’Amérique, Mr Teddy Bear, chasse l’ours brun dans les Rocheuses ! J’ai mis plus de la moitié de ma fortune en dépôt dans ces foutues banques, pour leur éviter la faillite. Cash ! J’ai enfermé : Rockefeller, Perkins, Baker, Stillman et tous les autres, entre quatre murs, et ne les ai laissés sortir qu’après qu’ils m’eussent donné leur parole d’honneur qu’ils suivraient mon exemple. Ce qu’ils ont fait ! Et tu me dis que le Président ne pourra pas me recevoir avant plusieurs jours, que son agenda est surchargé ! Tu me prends pour qui, George ? J’exige que tu câbles ma demande au secrétaire de Ted, immédiatement ! Tu m’entends ?Immédiatement ! J’exige que Ted Roosevelt reçoive mon ami Bill Cromwell dans moins de quatre heures. Sinon, petit acadien de merde, je te briserais ! Tu m’as bien entendu. Je te briserais ! Et maintenant, fous le camp ! Exécution ! » George Cortelyou, Secrétaire au Trésor des États-Unis d’Amérique, le visage décomposé, le pince-nez de travers, la bouche ouverte, se tourna vers chacun des protagonistes. On ne lui tendit pas la main. On ne le salua point. Il bredouilla des paroles dépourvues de sens et disparut. Morgan se détendit. À présent, il souriait. (...)

Le Président Théodore Roosevelt (1858-1919) et son cabinet. Assis à sa gauche, George Cortelyou, Secrétaire au Trésor, à côté de celui-ci, Charles Bonaparte Patterson (de profil), Attorney General.

John Pierpont Morgan (1837-1913)

La rencontre de Jean Monnet of Cognac et les frères Dulles.

Le Président Woodrow Wilson (1856-1924)    et le Président Raymond Poincaré (1860-1934)

(...) Le Président Woodrow Wilson, 28e président des USA, ancien Professeur de Sciences Politiques de Princeton University, demanda à son conseiller, Edward Madell House, ancien Président Fédéral de la fraternité universitaire Alpha Delta Phi, de constituer une équipe de jeunes et talentueux universitaires. Ceux-ci auraient pour mission d’aider le Président Wilson à construire ce monde nouveau qui viendrait, lorsque le conflit prendrait fin. (...) 

(...) Le Docteur Sydney E. Mezes, philosophe, Président de University of Texas et beau-père du Colonel House, fut nommé à la tête de cette jeune équipe. Ils louèrent des bureaux discrets à l’angle de la 155e rue et Broadway avenue. Parmi cette joyeuse troupe, on distingua très vite les frères Dulles : le capitaine John–Foster et Allen, son jeune frère, tous deux diplômés de Princeton. Mezes interrogea, discrètement, Royall Victor, patron de « Sullivan and Cromwell », le plus important cabinet d’avocats d’affaires de la Côte Est. Celui-ci désigna Max Shoop, sans hésiter, pour rejoindre cette équipe de jeunes professionnels. Carte blanche leur fut donnée pour dessiner les contours du monde de l’après-guerre ! Comme ils étaient intelligents et déterminés, ils écumèrent, avec enthousiasme, la Librairie du Congrès et celle de Columbia University pour tout connaître de la vieille Europe ! On les surnomma : « The Inquiry ». (...)

(...) Dwight Whitney Morrow, financier associé de J.P Morgan, chef du cabinet civil du Général Pershing, représentant américain au sein du Conseil des Transports Maritimes Alliés, sympathisa, à l’occasion des longues et fastidieuses séances de travail, avec un jeune Français : Jean Omer Marie Gabriel Monnet. Celui-ci était un homme de petite taille, au visage rond, au sourire sympathique. Une calvitie précoce lui conférait un air sérieux, malgré son jeune âge. Une moustache soigneusement taillée accentuait le caractère britannique de sa silhouette. Monnet était un des rares membres de la délégation française à s’exprimer correctement et avec élégance dans la langue de Shakespeare. Il avait travaillé, avant la guerre, au Canada, et pour la Banque Lazard Frères, à Londres. Morrow présenta Monnet aux frères Dulles. John Foster Dulles, l’aîné, suivit, pendant quelques mois, les cours du philosophe Henri Bergson, à la Sorbonne, et séjourna à Genève. Il comprenait fort bien le français. Il échangea facilement avec Mr Monnet. Le pragmatisme et la modestie de Mr Monnet furent très vite appréciés des anglo-saxons. Il devint, bientôt, un interlocuteur privilégié. John Foster Dulles présenta le Français au colonel House et à son oncle, Robert Lansing, 42ème Secrétaire d’Etat du Président des Etats-Unis d'Amérique. Eux aussi tombèrent sous le charme de ce bon garçon qui faisait livrer à chacun des membres de la délégation américaine, par la société de négoce de son père, les meilleurs cognacs millésimés du vignoble Charentais. Très rapidement il devint pour tous : Mr Jean Monnet of Cognac ! (...)

(...) Lors de la signature du Traité de Versailles, le 28 juin 1919, le colonel House et le Président Wilson échangèrent, discrètement, quelques mots avec le vieux Clémenceau. Il semblait opportun de confier des responsabilités à un brillant jeune Français, dans la nouvelle institution des Nations qui s’installerait bientôt à Genève, sur les rives du Léman, dans le superbe immeuble de l’ancien « Hôtel National ». Clémenceau demanda, en bougonnant, à son directeur de cabinet, M. Georges Mandel, de bien vouloir noter le nom de ce garçon. On veillerait à faire plaisir au Président des États-Unis d’Amérique !

Jean Monnet fut nommé, en 1919, Secrétaire Général adjoint de la Société des Nations ; collaborateur direct du so british Secrétaire Général : Lord James Eric Drummond. (...)

(...) Jean Monnet, peu après sa nomination à la SDN, fut invité à rejoindre « The Inquiry » et les collègues anglais au sein d’une institution nouvelle dont le siège fut inauguré, à New York City, le 29 juillet 1921 : le « Council on Foreign Relations ». (...)

(...) Le « Council on Foreign Relations » était un cercle, très fermé, de trois cents personnalités, rigoureusement cooptées et placées sous l’autorité d’Elihu Root, ancien Secrétaire d’Etat à la Guerre de Bill MacKinley et Ted Roosevelt… Prix Nobel de la Paix en 1912 ! Paul Warburg en fut nommé directeur. Là, se côtoyait la « crème de la crème » de la finance et des affaires et les responsables des institutions les plus puissantes, afin d’échanger, éclairer et peut être, influencer, les décisions des élus du Congrès Américain et les affaires, plus vastes, du reste du monde.

Jean Monnet accepta, flatté. (...)

 

"The Inquiry" : l'équipe américaine qui redessina l'Europe, en 1919.

Gertrude Lowthian Bell: "inventeur" de l'Iraq !

Conférence du Caire (1921)        Gertrude Lowthian Bell (1868-1926) (deuxième rang, à gauche). Assis au premier rang, à droite, Sir Winston Spencer Churchill.

POMP AND CIRCUMSTANCE

(...) En 1913, l’Amirauté Britannique prit une décision historique ! Elle décida de convertir à l’utilisation du fuel-oil tous les navires de la Royal Navy dont les chaudières étaient auparavant alimentées au charbon. La Grande Bretagne possédait d’importantes réserves de ce minerai. Mais, les grèves ouvrières pouvaient interrompre ses approvisionnements, à tout moment. Pour réaliser cela, elle voulut s’attacher les services de Herr Rudolf Diesel, inventeur allemand du révolutionnaire moteur à huile lourde. Des émissaires discrets du Major Sir Vernon George Waldegrave Kell, ancien de Sandhurst, directeur du Secret Intelligence Service, l’approchèrent. Les conditions étaient alléchantes. Diesel, né à Paris, de parents Allemands, avait vécu toute son enfance dans la capitale du Royaume-Uni. Il accepta les propositions britanniques, avec joie. Le 1er octobre 1913, les plus hautes autorités de Sa Majesté attendaient Herr Ingenieur Diesel, à Londres. Il n’arriva jamais. Son corps fut retrouvé, bien plus tard, dans les eaux du Channel. (...)

(...) La Marine Royale et les armées de l’Empire Britannique dépendraient, très vite, de cette nouvelle source d’énergie. Il conviendrait de s’assurer de la pleine maîtrise de cette ressource stratégique rare. En accord avec Sa majesté le Roi, Lord Spencer Churchill décida, en secret, que le gouvernement britannique prendrait le contrôle du capital de la société « Anglo-Persian Oil Company » ! Dans le respect des intérêts bien compris de la famille royale. Bien entendu ! (...)

(...) Sir Winston confia à Gertrude la lourde tâche de préparer une synthèse générale sur la situation de l’Iraq et l’organisation de son nouvel Etat. (...)

Devant un parterre d’officiers, silencieux et attentifs, Gertrude, élégamment vêtue d’une robe de soie fleurie, présenta son rapport. Après un long rappel historique, elle formula quelques propositions. (...)

(...) Sir Winston félicita Gertrude, publiquement, pour la qualité de sa réflexion. Le Haut-commissaire Cox fut chargé de la mise en oeuvre de ses recommandations. Le 23 août 1921, Fayçal Ier fut couronné monarque du Royaume Iraquien. Les négociations relatives au devenir de la Turkish Petroleum Company, très complexes et difficiles, durèrent plusieurs années et prirent fin en 1928. À cette date fut créée l’Irak Petroleum Company. L’ Anglo-Persian Oil Company, société détenue majoritairement par les intérêts anglais ; Near East Development Corporation, propriété de la famille Rockefeller ; Royal Dutch Shell, société anglo-néerlandaise de Sir Henry Deterding et la nouvelle Compagnie Française des Pétroles, dirigée par Ernest Mercier, détenait, chacune, un peu plus de vingt-trois pour cent du capital de cette nouvelle société. Calouste Gulbenkian, lui, possèdait cinqpour cent des actions et pouvait ainsi continuer à enrichir, avec détermination et talent, sa collection d’objets d’art et tableaux de maîtres qu’il léguerait, un jour, à une Fondation. (...)

Jean Monnet of Cognac et la Prohibition.

Ignazy Paderewski (1860-1941) https://www.youtube.com/watch?v=cdHATFk6AAA

 (...) Jean Monnet, pour assumer ses nouvelles fonctions au sein de la Société des Nations, s’installa en Suisse. Là, il fit la connaissance du grand pianiste polonais Ignazy Paderewski. Le concertiste avait acheté à Morges, dans le canton de Vaud, la très belle propriété de Riond-Bosson afin d’y vivre confortablement, en famille. Ils devinrent amis. Morges, la pimpante petite ville qui borde le lac, à quelques kilomètres de Lausanne, accueillit, avant le début de la Grande Guerre, un autre musicien : Igor Fiodorovitch Stravinsky, compositeur Russe et père de famille dans le besoin, ami d’un jeune romancier vaudois tout aussi impécunieux, Charles-Ferdinand Ramuz. Paderewski, devenu Chef du Gouvernement provisoire de son pays, cosigna, à ce titre, le Traité de Versailles. L’année suivante, il devint chef de la délégation Polonaise auprès de la Société des Nations. (...)  

(...) En 1921, lassé des difficultés qu’il rencontrait, Paderewski abandonna les affaires publiques et reprit sa carrière de pianiste virtuose. Jean Monnet démissionna de la Société des Nations, deux ans plus tard, en décembre 1923. Monnet quitta l’Europe. Il s’embarqua pour les côtes lointaines de Terre-Neuve. (...) Il fit des affaires avec des « importateurs » canadiens. Tous, curieusement, portaient des noms italiens et étaient chaussés de surprenantes paires de souliers bicolores. Ils approvisionnaient, en alcool, la région des Grands Lacs et la ville de Chicago : territoires soumis au Volstead Act appelé plus communément loi de « Prohibition », depuis le mois de janvier 1920. Pendant cette période faste, certains esprits facétieux, ou jaloux, déplacèrent fort légèrement l’accent tonique sur son nom. Il devint : Mr Jean Money of Cognac ! (...)

Jean Monnet, les frères Dulles et quelques autres: les aventuriers de la finance internationale !

Dwight Whitney Morrow (1873-1931) (diplomate), père de Ann Morrow, aviatrice et épouse de Charles Lindbergh

(...)  John-Foster Dulles succéda à Royall Victor à la tête de « Sullivan and Cromwell ». En mars 1920, Allen, son jeune frère, rejoignit le cabinet d’avocats d’affaires new yorkais. Monnet n’avait jamais cessé de cultiver l’amitié des frères Dulles. (...)

(...) A son retour, le Français leur proposa, tout naturellement, de constituer, ensemble, un consortium financier privé. John-Foster accepta et précisa que cette coopération serait engagée intuitu personae et ne concernerait pas Sullivan and Cromwell. Bien entendu.

On demanda au vieil ami Dwight Whitney Morrow, dont le frère Jay J. avait été récemment nommé Gouverneur du canal de Panama, de les rejoindre. Les années de guerre en Europe furent des années fastes pour le commerce de l’argent. Les « partners » et « associés » du cabinetd’avocats new-yorkais « Sullivan and Cromwell » développèrent, tous, un riche porte-feuille clients, en fonction des affinités nationales ou familiales. On traita, sans vergogne, avec les représentants du Kaiser Wilhelm et les personnalités mandatées par la République Française ou le Premier Ministre de Sa Majesté le Roi d’Angleterre. La paix revenue, la vieille Europe pansa ses plaies. Le nouvel Etat Polonais avait de très importants besoins financiers pour rebâtir le pays. Monnet décida d’utiliser ses relations amicales. Il revit le grand Paderewski. Des banques américaines - dont celles appartenant à feu J.P Morgan – furent sollicitées par Dwight Morrow et John-Foster. Elles apportèrent leur concours, non sans quelque hésitation, eu égard à l’instabilité politique qui régnait dans cette partie du monde. Mais les frères Dulles étaient des interlocuteurs convaincants. Les banques acceptèrent de prêter beaucoup d’argent mais prirent - tout de même - de solides garanties. Le royaume de Roumanie, lui aussi, souhaitait emprunter. Il possédait des ressources pétrolières, importantes, qui ne demandaient qu’à être, à nouveau, exploitées.Le Consortium fit appel à Ivar Kreuger. Ivar - fils de Ernst-August, banquier et industriel Suédois, consul général de Russie - était un homme de grande taille, au front haut et large, à la bouche charnue, au regard sombre et vif, qui séduisit la très jeune et ravissante, Greta Lovisa Gustafsson, plus connue sous son nom d’artiste : Greta Garbo. Kreuger était doté d’une vaste intelligence. En 1917, il fonda « Svenska Tändsticks AB » avec son ancien condisciple Paul Toll, fils d’un aristocrate russe fortuné. Cette compagnie spécialisée dans la production des allumettes racheta des sociétés concurrentes, détentrices de monopoles nationaux. Kreuger devint : « King of Sweden Matches » le « Roi des Allumettes Suédoises » ! En novembre 1918, il s’installa à Paris. Il rencontra les jeunes membres de « The Inquiry ». Ivar Kreuger aimait la fête et disposait de capitaux très importants. Ses nouveaux amis l’encouragèrent à entrer dans le « tour de table » qui devait répondre aux besoins de financement de certains pays européens. Il accepta. (...)

Ivar Kreuger : "le roi des allumettes suédoises" (couverture du Time - 1928)

Les frères Dulles : les conseillers écoutés de Fritz Thyssen et quelques autres.

Hermann Göring (1893-1946) et Fritz Thyssen (1873-1951)

(...) Les frères Dulles devinrent les avocats de Fritz Thyssen, très puissant fabricant d’acier et marchand de canons : Vereinigten Stahlwerke AG , formidable konzern, intégré verticalement ; Kurt Freiherr von Schröder, important banquier de Cologne et Karl Bosch, industriel des colorants, fondateur de IG FarbenIndustrie AG.

(...) Fasciné par la réussite de l’industrie sidérurgique américaine, Thyssen souhaita développer ses affaires aux USA. Pour cela, il était nécessaire de disposer d’un outil bancaire docile et discret. Les frères Dulles l’aidèrent à créer Union Banking Corporation, banque d’affaires américaine filiale de la banque familiale Bank voor Handel en Scheepvaart, implantée à Rotterdam. (...) Union Banking Corporation avait pour mission de gérer les opérations réalisées par les industriels allemands sur le sol américain et organiser les relations financières avec l’Europe. La présidence de la banque fut confiée à Cornelius Lievense, citoyen hollandais, installé aux USA, en 1923. Au sein de son conseil d’administration siégeait, en qualité d’actionnaire majoritaire, Edward Roland Harriman, jeune frère de William Averell Harriman, directeur de Guaranty Trust Company et riche héritier des compagnies de chemin de fer Union Pacific Railroad et Southern Pacific Railroad ; HJ Kouwenhoven, directeur, et JG Groeningen, un des responsables de Vereinigten Stahlwerke AG, le konzern de Fritz Thyssen. (...)  

(...) Accessoirement, des comptes furent ouverts dans les livres de l’Union Banking Corporation par des membres de haut rang du parti Nazi : National Sozialistische Deutsche ArbeiterPartei, le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). (...)

(...) En 1934, on décida de confier le poste de directeur adjoint de l’Union Banking Corporation à Prescott Sheldon Bush. C'était un grand texan charmeur et expérimenté, ancien de Yale, gendre de George Herbert Walker, et heureux papa du jeune et turbulent George H.W.. George« Bert » Walker, était le riche associé de William Averell Harriman et de Mr Jean Monnet of Cognac.

(...) Une société « joint-venture » fut créée entre la compagnie allemande et la société américaine : Jasco (Joint American Study Company) dont le siège social fut implanté à Bâton Rouge, état de Louisiane, dans les bureaux de Standard Oil Co. Ingénieurs allemands et américains travaillaient de conserve sur des programmes de production concernant l’hydrogénation catalytique, l’essence non dérivée du pétrole, le caoutchouc synthétique ou Buna, les huiles de graissage. Ces recherches permirent à l’Allemagne d’accroître son potentiel militaire dans des proportionsconsidérables. Les frères Dulles s’occupaient des aspects juridiques et financiers de cet important dossier. Grâce à eux, l’industrie du IIIème Reich bénéficia du meilleur de l’esprit d’entreprise Américain ! En mars 1935, Duisberg décéda. John Foster pleura un ami cher. Quelques mois plus tard, la décision fut prise de fermer les bureaux berlinois de « Sullivan and Cromwell ». Mais John Foster continua à faire des affaires avec ses clients allemands. Business as usual. (...)

 

New York Herald Tribune, 30 juillet 1941. Le 20 octobre 1942, tous les actifs de la banque Union Banking Corporation sur le sol américain furent saisis dans le cadre du "US Trading with the enemy Act".

Les affaires chinoises de Jean Monnet of Cognac.

TV Soong (1891-1971): beau-frère du général Chiang Kaï Shek

DIE BÜRGSCHAFT

La caution

(...) Jean Monnet continua à traiter ses affaires, en Chine. De bonnes affaires. Il obtint l’exclusivité du financement des besoins de l’administration du Général Chiang Kaï Shek grâce aux liens amicaux anciens tissés avec le Dr Ludwik Rajchman, directeur de l’Organisation d’Hygiène de la Société des Nations. .(...)

(...)  Monnet décida alors, à l’automne 1933, de se rendre à nouveau à Shanghai afin d’y rencontrer son ami et partenaire Soong. (...)

(...) TV Soong, par le mariage de ses trois soeurs, était allié aux hommes les plus puissants de Chine. Chacune avait reçu la meilleure éducation au Wellesley College - premier college américain, exclusivement féminin - implanté dans lbanlieue sud-ouest de Boston. La devise latine de cet établissement très chic était : Non Ministrari sed Ministrare « Ne pas être servies mais Servir » Vaste ambition qui ne cessait d’habiter le coeur des trois frêles et gracieuses jeunes filles ! Sa soeur aînée, Ai Ling, reçut le prénom de Nancy, lors de son baptême, hommage rendu à sa marraine, l’épouse de Julian Shakespeare Carr, le « General Carr »,magnat américain du textile et du tabac. Elle épousa le richissime Kong Xiangxi qui ne tarda pas à se faire appeler H. H. Kung, à la suite d’un séjour mouvementé aux USA.Ching Ling, sa soeur cadette - prénommée aussi Rosamond – séduisit le Dr Sun Yat Sen qui la prit pour femme. Après sondivorce. Enfin, May Ling, la plus jeune, se maria avec le jeune et brillant général Chiang Kaï Shek, commandant en chef de l’Armée Nationale Révolutionnaire. À cette époque, un dicton populaire chinois visait les trois soeurs, sans les nommer, par crainte ou respect : « La première aime l’Argent, la seconde aime la Chine, la troisième aime le Pouvoir ! » (...)

 

Les trois soeurs de TV Soong (à gauche, May Ling, l'épouse du général Chiang Kaï Shek)

La chute d'un bâtisseur d'empire

Ivar Kreuger (1880-1932) et quelques unes des sociétés de son  empire.

 (...) Pendant de nombreuses années, Monnet fut un partenaire et ami très proche du financier suédois Ivar Kreuger. Il était son mandataire enthousiaste lors des opérations de rachat de sociétés. Un mandataire zélé et efficace. Après avoir acquis des milliers d’hectares de forêts dans les pays scandinaves, fondé la compagnie de pâte à papier Svenska Cellulosa Aktiebolaget, en 1929 ; pris une participation majoritaire dans la compagnie de téléphone Ericsson ainsi qu'une participation minoritaire chez le fabricant de roulements à billes SKF ; racheté les banques Skandinaviska Kreditaktiebolaget en Suède, Deustche Unionsbank en Allemagne et Union de Banques à Paris ; Kreuger était à la tête d’un empire industriel et financier de plus de deux cents entreprises. Pour financer toutes ces opérations, il fit preuve d’une invention à nulle autre pareille. Il créa et émit des obligations convertibles en actions, avec ou sans droit de vote, et promit aux souscripteurs des rentabilités extravagantes. Tout cela séduisit des dizaines de milliers de petits épargnants suédois, mais aussi, grâce à Monnet et ses amis, de très nombreux spéculateurs d’Amérique du Nord. Malheureusement, le krach financier de Wall Street et des places financières européennes les rattrapèrent. Tous subirent des pertes irrémédiables. Beaucoup furent ruinés. En mars 1932, on retrouva Ivar Kreuger dans son luxueux appartement parisien, sans vie, une balle dans la tête. (...)  

Les affaires de Jean Monnet se portaient bien. (...)

Annonce du décès de Ivar Kreuger par le New York Times

TV Soong et la triade de la "Bande verte"

Du Yu Sheng (1888-1951), chef de la triade de la "Bande Verte" à Shanghai.

(...)  L’étoile de Chiang Kaï Shek pâlissait. On dénonçait sa passivité et le rendait responsable de l’humiliation d’un tout un peuple. Et bien entendu, comme souvent, la crise politique engendra la crise financière. En six jours, cinq des plus importantes séries de Bons du Trésor émis par le gouvernement de Nankin perdirent soixante pour cent de leur valeur ! Le 23 décembre 1931, vingt-quatre heures après l’annonce de la démission de Chiang Kaï Shek, les Bons chutèrent de quarante pour cent de leur valeur faciale soit une dégringolade de cinquante pour cent en quatre mois ! De nombreux titulaires de comptes exigèrent de retirer leurs avoirs, en pièces d’argent ou or, et refusèrent les billets de banques. Les banques s’enfonçaient dans une crise de liquidités. Plusieurs établissements bancaires furent contraints à « déposer leur bilan » et fermer leurs guichets. (...)

Du Yuesheng - à titre personnel - était un des plus importants détenteurs de Bons du Trésor de la Chine du Nord. Dès qu’il prit connaissance de cette nouvelle, il seprécipita chez TV Soong. (...)

(...)  Il fut très rapidement introduit dans le bureau de TV Soong. Celui-ci, à son entrée, se leva de son siège : - « Bonjour, mon frère Du. Je suis heureux de te voir en bonne santé. Comment se porte ta famille ? » Du Yuesheng ne répondit pas. Sans qu’on l’y invitât, il s’assit. Il croisa les jambes. Il tira de la poche intérieure deveston, un fin étui en or. Il l’ouvrit et prit une cigarette. Il récupéra, au fond d’une poche, un briquet en métal précieux. Il alluma sa cigarette. Une odeur sucrée de tabac blond américain remplit la pièce. Après quelques bouffées, il écrasa le bout incandescent, lentement, sur le cuir de l’accoudoir du fauteuil. On entendit un fin grésillement. Il prit alors la parole : - « Écoute-moi bien, mon frère Soong. Je ne le répéterai pas. Je te donne trois jours, pas un de plus, pour échanger la totalité des bouts de papier que tu m’as refilés contre des lingots ou des pièces d’or mexicaines. Si dans trois jours, tu ne m’as pas fourni ce que je réclame et qui m'appartient, je verserais moi-même l’acide chlorhydrique dans les yeux et les oreilles de chacun de tes enfants. Ensuite, à la différence de ce qui s’est passé l’été dernier, tu m’imploreras à genoux, comme font les chrétiens, pour que je mette un terme à leurs souffrances ». Et il cracha sur le tapis. (...) Soong demeurait silencieux. Puis, il déclara d’une voix calme et douce :- « Mon cher frère Du, l’aigreur et la colère égarent ton coeur et ton esprit. Lingots et pièces d’or sont difficiles à transporter et leurs cours fluctuent dangereusement. Je te propose une bien meilleure affaire..." (...)

Du Yu Sheng (à gauche) et les deux autres chefs de la "Bande Verte", triade de Shanghai, dans les années 30.